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Cet autre qui grandissait en moi - Tome I & II L’homosexualité à l’adolescence pas facile à vivre. Toutes sortes de questions se bousculent dans la tête de Bryan mais à qui les poser ? Il est prêt à le nier avec une énergie farouche. Seulement voilà, faire taire ses sentiments n’est pas qu’une question de volonté.

Si tu avais été... Alexis Hayden & Angelofys - Chapitre 6

Alexis Hayden

Couverture Tome 2    

Chapitre 06

   

Tu n’aimes personne ?

 

 

Au fil des heures passées ensemble, Kévin et moi nous forgions une solide amitié et une grande complicité qui allait durer toute notre vie. Je passais mon temps à me demander pourquoi il était aussi beau. J’épiais chaque petit détail, chaque mot prononcé qui aurait pu me faire penser qu’il éprouvait les mêmes sentiments que moi. Je croyais qu’en devenant son ami, le tumulte se calmerait dans mon corps et dans ma tête mais je m’étais trompé. Car plus je le fréquentais, plus j’apprenais à le connaître, plus j’étais libre de lui parler, de le regarder, et plus je l’aimais. Mes sentiments, au lieu de s’émousser, en étaient chaque jour ravivés. Kévin était aussi une source d’inspiration extraordinaire. Après chaque rencontre, j’écrivais des pages et des pages dans mon journal. Chacun de ses rires, de ses gestes, de ses silences, de ses paroles, me fascinait.

 

Alors, je découvris un autre Kévin que je ne connaissais pas. Ce que j’avais vu de lui au lycée ne correspondait en rien à ce qu’il était en réalité. Je le croyais calme, il était assez speed et n’arrêtait pas de bouger. Je le croyais muet, avec moi il se défoulait. Nous parlions de tout… Non, pas de tout. Pas de nos sentiments. Sujet délicat qu’il n’est jamais facile d’aborder. Surtout quand on est amoureux. Mais l’était-il vraiment ? Comment le lui demander ? J’avais trop peur d’essuyer un refus, qui aurait anéanti tous mes espoirs. Pourtant plein de choses me réconfortaient. Notre photo sur son écran d’ordinateur, qu’il venait d’enlever d’ailleurs, comme pour s’en défendre, pour s’en cacher. Sa façon de me regarder, de me parler, de m’admirer… Car toi aussi, tu m’admirais, n’est-ce pas ? Toutes ces petites attentions que nous avions l’un pour l’autre.

Son air radieux quand il était à mes côtés… Ses crises de rire… Je ne m’étais jamais senti aussi heureux. Nous ne nous quittions plus. Les week-ends, nous passions des soirées à discuter et à rire. Un coup chez l’un, un coup chez l’autre. Avec moi, tu parlais beaucoup. Tu avais confiance. Tu te laissais aller. Que de mots, souvent sans importance, mais je guettais ceux qui en avaient. Ceux qui me feraient rêver. Ceux-là, je ne voulais pas les rater. Soudain, je dressais l’oreille, je te regardais interrogateur. Toi, tu le savais, tu attendais déjà ma réaction, avec ce sourire aux coins des lèvres. Tu faisais l’étonné, comme tu savais si bien le faire : « Ben quoi ! Qu’est-ce que j’ai dit ? » J’étais en extase devant toi. Tout ce que tu disais, tes regards malicieux, tes sourires moqueurs, tes mimiques… tout me fascinait ! Un soir où tu te sentais bien, tu me fis cette confidence :

-          Je ne savais pas qu’on pouvait être aussi heureux ! Avant, je n’étais pas malheureux mais…

-          Avant quoi ?

Tu étais devenu sérieux. Tu étais coincé alors autant dire la vérité :

-          Avant toi.

Je souriais… Fin de la conversation. Tout cela, je l’ai vécu, je l’ai savouré, je l’ai écrit ! C’était un plaisir d’écrire. Je n’en avais jamais eu autant.

 

Kévin avait raison, nous fîmes plein de choses ensemble. À commencer par la peinture, nous y consacrions tous nos mercredis après-midi… puis tous nos week-ends… puis n’importe quand ! C’était un fabuleux prétexte pour nous retrouver. Comme promis, il fut très patient même si, au début, il prenait un peu trop au sérieux son rôle de professeur. Je n’en avais jamais eu d’aussi beau. Pour la première fois de ma vie, j’étais amoureux de mon prof.

Ainsi, un jour où je faisais de mon mieux devant ma toile, Kévin s’approcha pour regarder ma peinture. Il s’approcha si près que je sentis la chaleur de son corps sur ma joue. Je détournai alors mon attention du tableau pour regarder le visage de mon ami, si près du mien. Il s’en aperçut et tourna la tête. Nous étions face à face, les yeux dans les yeux, ses lèvres à quelques millimètres des miennes… À quoi pensait-il ? Il posa sa main sur ma joue et délicatement, d’une légère pression, me força à revenir à la peinture en disant :

-          C’est là que ça se passe !

Il était très sérieux, magnifique, mais distant et si préoccupé par cette fichue peinture qui à la fois nous réunissait et nous séparait. Est-ce que c’était tellement important pour lui qu’il en vienne à m’ignorer ? Moi, je ne le pourrais jamais. Il était plus important que tout. Je le regardai de nouveau, songeur et amusé par sa gravité, mais inquiet de son détachement. Car, si comme ma mère le prétendait, j’en avais, était-il indifférent à mon charme ou faisait-il semblant ? Était-il lui aussi incapable d’assumer ses sentiments ? Autant de questions sans réponse… Lorsqu’il s’approchait ainsi de moi, il me posait très souvent la main sur les épaules. Il me touchait plus que je n’osais le faire. Je faisais un vrai blocage. Pourtant, je l’aimais ! Alors si lui me touchait tant, était-ce de l’indifférence ? J’étais paralysé. Son visage si près du mien, le poids de son bras sur mes épaules, j’en avais le souffle coupé. Allait-il m’embrasser ? J’étais prêt. Je l’espérais comme je le redoutais. Chaque muscle de mon corps était tendu. Une autre fois, il eut un élan vers moi mais se ressaisit très vite. Et ce baiser ne vint jamais. Était-ce mon imagination ?

Il faisait parfois des choses étonnantes avec une détermination de guerrier. Quand il était en lutte contre quelque chose ou quelqu’un, il s’affirmait avec une conviction surprenante. Son visage, déjà si blanc, perdait alors sa dernière goutte de sang. Il affichait un calme déconcertant quand je savais la révolte rugir en lui. J’étais admiratif dans ces moments-là. J’avais toujours l’impression d’assister à l’assaut de la ville.

Un soir, nous sommes allés au théâtre à Paris avec nos mères. Nous avions quatre places côté allée. Je m’engageai le premier, ma mère et Martine me suivirent, nous séparant et laissant Kévin seul en bout d’allée. Il demanda à sa mère de se décaler d’un siège. Pour je ne sais quelle raison, Martine refusa en disant, comme on le ferait pour des enfants :

-          Non, non, c’est très bien comme ça. Ça vous évitera de papoter.

Je regardai Kévin, inquiet et navré : j’aurais dû l’attendre… Son visage se figea et devint livide. Je compris qu’il allait se passer quelque chose. Énervé et furieux, il s’engagea dans la rangée devant nous, passa devant les mères avec son air des mauvais jours, mais avec la détermination du combattant qui va gagner la guerre. Il enjamba les fauteuils et vint s’asseoir à côté de moi. Les mères surprises étaient restées muettes en le regardant passer. Qu’est-ce que j’aimais le voir se battre ainsi pour nous ! Je l’observais souriant, étonné et admiratif.

-          Ben quoi ! Pourquoi tu me regardes comme ça ?

Je lui serrai le bras en me penchant vers lui.

-          T’es magnifique quand tu t’énerves !

-          J’en ai marre, elle nous prend pour des mômes ! Si j’étais resté là-bas, tu serais resté ici ?

-          Je ne sais pas. Je n’ai pas eu le temps d’y penser, t’étais déjà là avec ton air des bons jours !

À son regard interrogateur, je compris la question qu’il allait poser : non, ce n’était pas un reproche ! Alors avant qu’il ne la pose, comme j’avais toujours la main sur son bras, je l’attirai vers moi.

  -          Je suis trop content que tu sois là ! J’aurais sûrement discuté jusqu’à ce qu’elles changent de place. Cool ! Respire par le nez !

-          Je ne peux pas. Tout ce qui est injuste et stupide me révolte ! Pas toi ?

-          Si, mais il y a toujours dix mille façons de régler les problèmes. On n’aurait pas lâché, elles se seraient forcément décalées. Obligé ! Venir au théâtre seul, aucun intérêt… Avec toi, c’est complètement différent, c’est double fête. Il y a spectacle, avant le spectacle, tu jouais super bien ton rôle en plus !

-          Ce n’est pas drôle !

-          Je te dis tout ça en riant mais je suis sérieux. Tout ce que je fais depuis quelque temps, je ne le fais qu’avec toi, puisque je ne vois plus que toi…

-          Et alors ?

-          Alors, c’est génial ! Je n’avais jamais eu d’ami comme toi avant… Impossible, je ne t’aurais pas laissé seul au bout du rang. Trop content d’être là ce soir… avec toi !

D’autres spectateurs arrivèrent. Une dame s’adressa à Kévin :

-          Excusez-moi jeune homme mais je crois que vous êtes assis à ma place !

Kévin se leva et s’adressa à sa mère d’un air désolé.

-          Maman, tu t’es trompé d’une place. Il faut que tu te décales !

Elle s’exécuta, nous fîmes de même. Histoire d’en rajouter, Kévin s’excusa auprès de la dame :

-          Je suis désolé, ma mère a toujours été fâchée avec les chiffres !

-          Ah… les mamans ! dit la dame.

Kévin regardait sa mère d’un air faussement navré en haussant les épaules et en écartant les mains, comme pour dire : « je n’y suis pour rien ! » Nous avions tous le sourire, même Martine. Pendant la pièce, lors d’une scène triste et émouvante, il posa sa main sur mon biceps et me dit à l’oreille :

-          C’est trop triste, j’ai envie de pleurer !

Je posai ma main sur la sienne et lui dis :

-          Vas-y, pleure. Le noir, c’est fait pour ça !

À la fin de la scène, je retirai ma main et il enleva la sienne. Lorsque la lumière revint, il était manifeste qu’il avait pleuré. Je l’examinai en souriant, il était gêné.

-          Je suis trop sensible…

-          Mais non, t’es normal. Le mec qui a écrit ce texte l’a fait pour nous émouvoir.

 

La peinture, c’était son truc. Pourtant bientôt, il cessa de s’y intéresser pour découvrir que j’étais là et qu’il ne me connaissait pas. Alors commença un interrogatoire qui allait durer toute notre vie. C’était pratique. Il me suffisait de lui répondre puis de terminer en disant : « Et toi ? » pour lui renvoyer la balle. Ses questions en cachaient-elles d’autres ? Dans ces moments-là, il y avait ce que nous disions et ce que nous ne disions pas. Mais au-delà des mots, ses yeux semblaient souvent en dire davantage. Chaque jour, lorsque nous nous retrouvions, son sourire et son regard me charmaient. Lorsqu’il me regardait de cette façon, j’avais l’impression d’être la personne la plus importante sur Terre. Nous nous disions alors de semi-vérités par petites bribes. Chacun notre tour, nous lancions de ces petites phrases innocentes qui en disaient toujours plus long qu’elles n’en avaient l’air. Elles me laissaient perplexe et sans voix quand je les entendais, ou quand je les comprenais quelques heures plus tard, voire parfois le lendemain. Je ne sais pourquoi j’ai cette lenteur d’esprit qui fait que je sais toujours ce que j’aurais dû répondre, vingt-quatre heures plus tard, lorsqu’enfin je compris ce qu’on voulait me dire. Comme Kévin était champion à ce jeu des questions-réponses, j’avais souvent du mal à suivre et peur de faire une gaffe.

 -          Tu as des amis ici ?

  -          Je n’ai qu’une amie. Mais elle est à Paris maintenant.

-          Tu n’as pas envie d’en avoir plus.

-          Pour quoi faire ? La Fontaine disait : « Chacun se dit ami; mais fou qui s’y repose : – Rien n’est plus commun que ce nom, – Rien n’est plus rare que la chose. » Je me fiche de ceux qui font semblant d’être des amis.

-          Moi, je n’en ai pas du tout. J’aimerais bien en avoir un.

-          Pourquoi tu me regardes comme ça ?

-          Je me demande, si un jour nous serons amis.

-          Tu voudrais ?

-          Bah ouais, j’aimerais bien !

-          Je croyais que c’était déjà fait.

-          Je ne sais pas. Je te demande si tu as des amis, tu me réponds que t’en as qu’une et qu’elle vit à Paris. C’est que je ne fais pas partie de tes amis.

-          Je voulais dire : à part toi, bien sûr ! Mais si tu veux être mon ami, il faudra être très patient. Tu t’assoiras d’abord un peu loin de moi, comme ça, dans l’herbe et tu ne diras rien. Mais, chaque jour, tu pourras t’asseoir un peu plus près…

-          Si j’ai le droit de me rapprocher un peu plus chaque jour, le temps viendra où je finirai dans tes bras ! Et puis ça, ce n’est pas la recette pour se faire des amis mais pour s’apprivoiser. Nous, c’est déjà fait !

-          Ah ! Je vois que tu connais tes classiques ! Tu as lu Le Petit Prince. Oui. Pour nous, c’est déjà fait. Grâce à nos mères. Sans elles, on continuerait à se regarder de loin, sans oser se dire bonjour.

-          Ton amie, c’est celle avec qui tu sors en ce moment ?

Coup au cœur. Mon sang se figea dans mes veines. C’était comme une décharge électrique. Pourquoi me posait-il cette question ?

-          Tu connais la fille avec laquelle je sors ?

-          Je ne la connais pas mais elle était avec toi à l’enterrement de Julien. Tu la tenais par la main.

-          Tu vois tout, toi… Ou tu crois tout voir !

-          Je ne vois que ce qu’on me laisse voir… Pourquoi ?

-          Non, ce n’est pas elle. Mon amie s’appelle Laetitia. Elle était là aussi le jour de l’enterrement sauf qu’elle ne me tenait pas la main.

-          Ah, c’était l’autre !

Comme je riais, il tenta de s’expliquer :

-          Je les ai remarquées parce que je pensais que tu n’avais pas de petite amie.

-          On ne se connaissait pas, comment pouvais-tu croire ça ?

-          On se connaissait sans se connaître. Tu étais toujours seul au lycée.

-          Oui, c’était l’autre. Celle qui me tenait par la main, c’est sa meilleure amie, Stéphanie.

-          C’est ta copine ?

-          Je sors avec elle, c’est tout… Tu n’en as pas, toi ?

-          De quoi ?

-          De copine.

-          Comment tu le sais ?

-          Je ne le savais pas. C’était juste une question. Tu étais seul à l’enterrement et tu l’es très souvent toi aussi.

-          Tu me surveillais !

-          Non, c’est toi qui me surveillais. Dans l’église, tu n’arrêtais pas de te retourner.

-          Donc tu me surveillais !

 -          Oui, si tu veux. Dès que je voyais une tête bouger, c’était la tienne ! Je te promets. Et puis au cimetière, tu étais près de moi. Nous avons même pleuré ensemble, tu ne t’en souviens pas ?

-          Si. Tu l’aimes ?

-          Qui ?

-          La fille avec qui tu sors ?

-          Puisque je sors avec elle !

-          Ce n’est pas une réponse. Tu l’aimes ou tu ne l’aimes pas ?

-          Un peu…

-          Un peu ? Tu sors avec une fille que tu aimes un peu, seulement ?

-          T’énerve pas, ce n’est pas grave ! Non, je ne l’aime pas. De même que je n’ai jamais aimé Laetitia. J’ai de l’affection pour elle, c’est tout.

-          Alors pourquoi tu sors avec elle ?

-          C’est compliqué. Si je te le disais, tu me prendrais pour un fou !

-          Dis toujours.

-          Non, je n’ai pas envie d’en parler. Pas maintenant en tout cas.

-          Ça fait du bien parfois de se confier.

-          Je suis venu pour apprendre à peindre, pas pour une séance de psychanalyse !

-          Tu ne viens que pour ça !

-          Non ! Et tu le sais bien. Je suis trop content d’avoir trouvé un ami comme toi !

-          C’est vrai ?

-          Non. On continue ?

Mais quand Kévin était parti comme ça, ce n’était jamais facile de l’arrêter. Quelques instants plus tard, il reprit son interrogatoire.

-          Tu ne l’aimes plus ou tu ne l’as jamais aimée ?

Même si parfois je n’avais pas à me forcer, j’aimais bien faire celui qui ne comprenait pas.

-          Qui ça ?

-          La fille avec qui tu sors.

-          Elle est belle, elle est gentille, elle est très agréable, mais je ne l’ai jamais aimée.

-          Mais tu sors avec elle ?

-          Tu le sais déjà.

-          Tu lui mens ?

-          Non. J’ai toujours été franc avec elle.

-          Tu la tenais par la main au cimetière. Quand on tient une fille par la main, c’est qu’on est amoureux !

-          C’est elle qui me tenait la main.

-          Je ne comprends pas comment tu peux faire semblant…

-          Je n’ai jamais fait semblant. C’était juste pour passer le temps, pour me persuader que j’en étais capable… Et puis, il y a des expériences qu’il faut vivre.

Il me fallait faire attention à tout, car il décortiquait chaque mot…

-          Capable ? Capable de quoi ?

-          Capable de plaire.

-          Tu es prêt à faire toutes les expériences ?

-          Toutes celles qui peuvent m’apporter quelque chose.

-          Qu’est-ce que ça peut t’apporter, si tu ne l’aimes pas ?

-          Comprendre… comment ça marche…

-          Comprendre quoi, les filles ?

-          Oui, les filles… mais aussi les rapports humains.

-          Les rapports physiques ?

-          Toutes sortes de rapports.

-          Et alors, ça marche comment tes rapports avec elle ?

-          T’es trop curieux !

-          Oui. Avec toi, je suis curieux de tout.

Je le regardai bien dans les yeux.

-          T’es surtout curieux de savoir si je couche avec elle.

-          T’es mon ami, j’ai envie de tout savoir de toi, c’est normal ! Mais il n’y a pas que ça…

À chaque fois, mon cœur faisait des bonds. Que voulait-il dire ? C’était une porte entrouverte, je ne pouvais pas rester sans réponse.

-          Comme quoi par exemple ?

-          Je n’ai jamais couché avec une fille, alors j’aimerais bien savoir comment c’est.

-          T’es mal tombé, moi non plus !

-          Mais qu’est-ce que tu faisais avec elle ?

-          On discutait, on s’embrassait, rien de plus.

-          Tu en aimes une autre ?

-          Non.

-          Tu n’aimes personne ?

J’essayais de changer de sujet.

-          Si ! On se remet à la peinture ?

On s’y remit un peu mais je sentis que Kévin avait envie d’aller au bout de cette conversation.

-          Donc, si j’ai bien compris… Tu sors avec une fille qui n’est pas ton amie mais la copine de ton amie. Tu n’en aimes aucune des deux mais tu aimes quelqu’un d’autre. C’est très simple…

J’étais un peu gêné.

-          T’as tout compris. Ça paraît… absurde et compliqué, mais ça ne l’est pas tant que ça.

-          Non, non, c’est très simple au contraire ! dit-il sur un ton moqueur. T’es ici depuis combien de temps ?

-          Deux ans.

Comme je ne lui renvoyais pas la question…

-          Moi, ça fait six mois !

-          Je sais.

-          Comment tu le sais ? Tu me surveillais ?

-          Non, je t’ai vu arriver… Toi aussi, tu m’as vu.

-          Oui, je t’ai vu… Je n’ai vu que toi !

Je fis celui qui n’avait rien entendu et revins à la peinture.

-          Comment fais-tu… pour donner du relief à un visage ?

Kévin sourit avant de répondre.

-          Je vais t’expliquer, c’est très simple. Presque aussi simple que tes relations amoureuses !

 

Je venais de faire capoter cette si intéressante conversation. Je mourrais d’envie de tout lui dire, mais je n’y arrivais pas ! Pourtant, plus le temps passait, plus nous nous dévoilions. Nous faisions chacun à notre tour, des allusions de moins en moins équivoques, sur la réelle nature de nos sentiments. Chacune d’entre elles me redonnait espoir. Mais au lieu de sauter sur ces occasions pour en parler, celui qui les entendait faisait toujours la sourde oreille, ce qui ne manquait pas de nous faire sourire. Alors nous allions de plus en plus loin dans les sous-entendus, même si les miens étaient moins prononcés. Ce petit jeu aurait pu durer longtemps, si nous n’avions pas été, l’un comme l’autre, impatients de révéler notre amour. Ainsi, un jour où nous rentrions du tennis, Kévin me posa cette question :

-          Tu préfères vivre ici ou t’étais mieux à Paris ?

-          Je préfère des millions de fois être ici. À Paris, mes parents passaient leur temps à se disputer et puis je n’ai jamais eu autant d’amis qu’ici.

-          Ah bon, je croyais que tu n’en avais pas !

-          À Paris je n’en avais pas. Ici, la première année, à peine arrivé, je me suis fait draguer par Laetitia. Maintenant c’est toi.

-          Dragué ?

-          J’ai dit ça ?

-          Oui, tu l’as dit.

Je devins tout rouge.

-          Non… Je voulais dire…

-          Oui, qu’est-ce que tu voulais dire ?

-          Je voulais dire… que chaque année depuis que je suis ici… je me fais des amis. La première fois c’était Laetitia, cette année c’est toi.

-          De toute façon, t’as un peu raison. Pour se faire un ami, il y a forcément une phase d’approche et de séduction, c’est un peu de la drague !

-          Quand est-ce que tu m’as dragué ?

-          Tout le temps ! Le jour de la brocante, quand tu m’as parlé de peinture, j’ai sauté sur l’occasion. J’aime bien la peinture mais j’avais surtout envie de te connaître. Et depuis, je n’ai pas arrêté, toi aussi d’ailleurs…

Il avait dit cela tout naturellement. Je restai sans voix, car je savais qu’il avait raison.

-          En fait, dit-il, il y avait longtemps que je mourais d’envie de devenir ton ami.

-          Ah bon ! Pourquoi ?

-          Parce que je n’en avais pas, parce que j’étais seul, parce que j’étais attiré vers toi. Ça ne sert à rien d’être heureux tout seul, si on ne peut pas partager cette joie avec quelqu’un d’autre. Aujourd’hui c’est génial ! Après tout ce qui m’arrive de bon ou de mauvais, je n’ai qu’une hâte, c’est de t’en parler.

-          Oui, je sais… moi aussi !

-          Toi aussi quoi ?

-          Moi aussi, pour tout ça ! Depuis que nous avons déménagé, ma vie a complètement basculé, tout a changé… même mes rêves, mes plus beaux rêves, je les ai faits ici.

-          Tes rêves ? Tu rêves de quoi ?

-          Des rêves !       

Ça restait vague, tout en se précisant.

 

Un autre jour, Kévin me reparla de Julien.

-          Tu te souviens de Julien ?

-          Comment l’oublier…

-          Une fille m’a dit qu’il était homo… C’était vrai ?

Électrochoc, je n’osais plus le regarder. C’était l’occasion d’aborder le sujet, mais je m’en sentais incapable. Il avait certainement autant de mal que moi à en parler, car il avait changé de voix pour me poser cette question. J’étais surpris qu’il me la pose de façon aussi directe. C’était la première fois qu’on en parlait et nous étions aussi coincés l’un que l’autre.

-          Il avait l’air un peu efféminé mais ça ne veut rien dire. Je ne l’ai jamais vu sortir avec personne. C’était un mec sympa et discret. Je ne sais pas s’il était homo mais il était très seul.

-          Pourquoi ?

-          Aucun mec n’osait le fréquenter à cause de ça, pour éviter de faire jaser.

-          Ce n’est pas si grave aujourd’hui.

-          Non, ce n’est pas grave du tout, mais au lycée, ce n’est pas encore à la mode. Tout le monde se moquait de lui, certains l’imitaient en exagérant.

-          Tout le monde ?

-          Non, pas tout le monde… que les cons mais ils sont nombreux !

Il se tut. À quoi pensait-il ? Et pourquoi cette question ? Voulait-il savoir si j’allais prendre la défense de Julien ? Je l’avais prise, un peu, juste du bout des lèvres. J’aurais aimé faire le même speech que devant les filles, mais ça ne sortait pas. Il n’insista pas et moi non plus. Je n’étais pas plus avancé, comment savoir ce qu’il avait dans la tête ?

 

Un après-midi, dans ma chambre, j’étais assis sur la moquette et je caressais Nicky. Kévin vint s’asseoir en face de moi et le caressa aussi. Inévitablement, nos mains se rencontrèrent sur le pelage de mon chien. Kévin me caressa la main en s’excusant :

-          Oh, pardon !

-          Touche pas c’est mon chien !

-          Mon chien, ma main ! Oh là, la ! Tout t’appartient ici !

Je le regardai bien dans les yeux.

-          Non, pas tout…

Il sourit, mais n’insista pas. Il fit comme s’il n’avait pas compris, nous changeâmes de sujet… Nicky nous observait, triste mais interrogateur, comme s’il se doutait que quelque chose se disait sur son dos.

 

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